Alexandre Texier

Le point d’interfinité

Vous a-t-on déjà posée une question qui a à la fois un nombre infini de réponses et une aucune réponse ? Vous a-t-on déjà posé une question où au final, la question est bien plus intéressante que la ou les éventuelles réponses ? Si oui, le point d’interfinité est fait pour vous.

Interfinité, késako ?

Le point d’interfinité (interfinity sign en version originale) est une proposition de nouveau point de ponctuation proposé par Radim Peško, typographe, et Zak Kyes, designer, et initialement utilisé en 2010 dans Everything You Always Wanted to Know About Curating (Sternberg Press). Dans ce recueil d’interviews, un commissaire d’exposition avait tendance à poser beaucoup de questions. À priori trop. À priori des questions plus intéressantes que les réponses, des questions avec une infinité de réponse. À tel point que le besoin d’un signe typographique spécifique ce fit vraissemblablement ressentir.

Après tout, un point d’interrogation « classique » suffit-il pour des questions comme :
Est-ce Dieu existe ?
Quel est le sens de la vie ?
Êtes-vous heureux ?
But Why?

Le point d’interfinité est donc là pour signifier des interrogations qui vont déclencher bien plus qu’une réponse facile et rapide, une question qui se suffit à elle-même, une question sans réponse, une question qui en réponse amènera d’autres interrogations dans un cycle infini. Tout et son contraire en somme. Interrogation + infinité = interfinité. CQFD.

Anatomie

Du point de vue typographique, le point d’interfinité est beau de simplicité : un point d’interrogation dans lequel la partie supérieure a été remplacée par le signe « ∞ » utilisé en mathématiques pour signifier l’infini mais renversé verticalement. La forme est suffisamment proche du point d’interrogation pour permettre à la plupart des personnes de comprendre ce qu’évoque le signe, j’en ai en tout cas l’impression. De ce fait, parmi tous les tentatives d’ajout de nouveaux signes de ponctuation (ironie, aparté, etc.) qui ont été proposé jusqu’à présent, celui-ci me semble avoir la meilleure affordance, mais nous reparlerons de quelques une de ces propositions dans le futur je l’espère.

Le point dinterfinité, Radim Peško & Zak Kyes

Où le trouver ?

Depuis son introduction en 2010, ce signe typographique est inclus dans toutes les productions typographiques de Radim Peško. Il n’est néanmoins pas un signe officiellement reconnu dans Unicode, contrairement au point exclarogatif « ‽ » plus connu sous le nom d’interrobang. Sa diffusion est donc assez limitée en l’état, et je doute qu’elle aille beaucoup plus loin que le cercle des amateurs de créations typographiques.

Du reste, ce point d’interfinité a le mérite d’exister. Il a une construction à la fois simple et claire, il a été créé en réponse à un besoin spécifique pour lequel les outils déjà existant étaient jugés insuffisants. C’est ainsi qu’évolue la langue. À voir ce que l’avenir fera de cela.


  1. Everything You Always Wanted to Know About Curating, Hans Ulrich Obrist, Sternberg Press, 2010.
  2. “Interfinity mark”, Radim Peško, 14/03/2011 (source).
  3. “Interfinity mark specimen”, Radim Peško, 17/01/2018 (source).

Monotypie

Je discutais il y a peu avec l’un de mes collègues professeur à l’Ésad Orléans de mon attrait pour les systèmes d’écritures étranges, les tentatives de langues universelles. Celui-ci, – fortement impliqué dans l’organisation des Rencontres de Lure – m’a alors parlé d’un système qui avait été présenté aux dernières Rencontres par Sophie Pierret : la Monotypie.

De quoi s’agit-il ?

La source originale est une brochure de moins de 30 pages, parue en 1797, signée « par un citoyen français », qui pourrait se prénommer Thirion si l’on en croit une note ajoutée sur l’ouvrage. Passé la page titre, la brochure commence tout d’abord par un texte introductif général sur la langue et les systèmes d’écriture avant de proposer, évidemment, un nouveau système de représentation des sons de la langue, à « l’usage des Peuples de tous les Pays ».

Ce nouveau système a une particularité : il n’utilise qu’un seul caractère de base, composé de divers cercles disposés d’une part sur les rebords d’une forme circulaire (9 éléments) et d’autre part sur une barre verticale (3 éléments), soit 12 éléments au total. L’ensemble de ces cercles sont de base seulement des contours, mais en remplissant un ou plusieurs de ces cercles, ont obtient assez de combinaisons pour permettre d’associer à chacune d’elle un phonème, mais également les signes de ponctuations. On peut d’une certaine manière faire un parallèle avec la notation du braille, qui utilise également cette méthode de remplissage de points sur une grille. Cet ouvrage présente en tout 40 combinaisons, mais cela ne représente qu’une petite partie des possibilités offertes par ce système, si l’on s’en tient purement aux mathématiques. Notons que des variante sont dédiées à la représentation de l’ironie et de l’aparté (dans le sens téâtrale semble-t-il), et qu’il y a aussi une variante permettant de séparer les syllabes à l’intérieur d’un mot.

Les phonèmes sont représentés par la forme circulaire, dans la partie gauche du signe, en noircissant de 1 à 2 de ses cercles. La ponctuations est représentée sur la barre verticale, en noircissant de 1 à 3 cercles, mais également sur la forme circulaire, avec le noircissement de 3 cercles alignés.

Dans l'ordre : [a], [fe], la virgule, l'ironie

Une utopie illisible

Comme l’ensemble des propositions pour des systèmes d’écriture universelle, c’est sans surprise que la Monotypie n’a pas dépassée le stade de proposition.

Comme pour l’[Ehmay Ghee Chah], si la structure de base des glyphes est géométrique, symétrique et donc en quelque sorte conceptuellement logique, il est facile de voir que ce système est proprement inutilisable. Et ce problème tient à la construction du glyphe de base : il est très complexe de différencier facilemet et rapidement les phonèmes, les mots et la ponctuation entre eux (voir l’exemple si après). Le tout forme une sorte de grille de point compacte. La proposition montre le signe dans un corps relativement grand, mais il parait peut probable que l’on puisse en faire une version de petit corps. On serait donc contrain d’imprimer des ouvrages de grande taille avec des corps imposant. En terme d’économie pour l’impression, c’est le niveau zéro. Quid également de l’écriture manuscrite ? En l’état, je ne vois pas comment cela serait possible sans prendre des heures et des heures, tel un copiste, à former chacun des caractères.

« À tous les coeurs bien nés, que la patrie est chère ! Vive la République Française ! »

La Monotypie rejoint donc ses camarades : les systèmes d’écritures universels pensés pour mettre à égalité tous les hommes, construits par la logique pure et les mathématiques, mais qui ne sont proprement pas utilisables.

Comme quoi, penser trop comme un ingénieur et être guidé seulement par la raison pure ne donne pas que du bon, tout du moins pour ce qui est de la typographie.


  1. La Monotypie ou l’art d’écrire et d’imprimer avec un seul caractère, Thirion, 1797 (source Google books).
  2. “La Monotypie, une rêverie typographique révolutionnaire”, Sophie Pierret, Rencontres de Lure, 2022 (source).

Des prélettres à l’écriture inclusive

Prélettres

En intégrant en 2013 l’ANRT, Éloïsa Pérez entame un travail qui se conclura par une thèse doctorale sur l’apprentissage de l’écriture par les enfants.

Dans ce cadre elle conçoit les prélettres, un ensemble de formes géométrique simples permettant aux enfants de se familiariser avec les figures qui, une fois assemblées, permettent d’écrire les lettres telles que nous les connaissons. Ce travail prend, entre autres, la forme de normographes dont on peut retirer certains éléments pour les combiner tels des puzzles, et utiliser les espaces vides comme guides de traçage au feutre, ce qui est l’utilité première du normographe. Comme précédemment dit, Il ne s’agit pas d’écrire des lettres à proprement parler, mais de s’initier au traçage de courbes, lignes et figures abstraites par une approche avant tout exploratoire et plastique. Les enfants sont libres d’expérimenter, de manipuler et de construire des formes à l’envie. L’apprentissage plus dirigé ne vient qu’ensuite.
Ce prélettres, comme leur nom l’indique, forment ainsi les prémisses de la formation des enfants à l’écriture en classe de maternelle, en permettant de les initier à la tenue d’un crayon, de tracer, de dessiner. En somme de développer leur cognition.

Après tout ne pourrait-on pas assimiler des lettres à des dessins conventionnés ? Des objets avant tout plastiques qu’il faut aborder en tant que tel.

Normographes

Les normographes sont un outil d’aisance pour le traçage de formes et dans de nombreux cas de lettres. Il n’y a qu’à suivre le tracé prédécoupé pour obtenir des signes au tracé régulier et précis, utile à qui n’est pas typographe, calligraphe ou peintre en lettres. Pensons par exemple aux caractères stencils, directement issus du mélange fructueux entre les normographes et les pochoirs, qui permettait de peindre rapidement et efficacement des lettres sur tous les supports.

un exemple de normographe, wikimedia

En ce sens le travail d’Éloïsa Pérez s’inscrit dans une continuité d’aide à l’écriture par la construction d’outil, les normographes étant une des voies possibles à explorer.

En droite lignée dans le champ du design, citons ainsi le système de Joseph Albers pour le Bauhaus, le Kombinations-Schrift, pensé entre 1926 et 1931, dont une plaque est conservée au MoMA et est visible ici. Pour les utilisateurs et les utilisatrices les plus avancées citons le PDU, pour Plaque découpée universelle, pensée par Joseph A. David en 1876 et qui permettait, pour peu que l’on sache correctement s’en servir, de tracer l’ensemble des lettres de l’alphabet latin : capitales et bas de casse, ainsi que les signes diacritique et les signes de ponctuation. Ce travail, redécouvert par Dries Wiewauters a d’ailleurs mené à la création d’une famille typographique issue de ce système et publiée en 2010 chez Colophon Foundry.

Normographes inclusifs

Quoi de plus normal donc, au vue de cet héritage que les questions contemporaines liées à l’écriture et la langue investisse une fois de plus cet outil.
Eugénie Bidaut, dans le cadre de son projet de recherche autour de l’écriture inclusive, développe un ensemble de caractères typographiques permettant d’explorer ces question. L’Adelphe Germinal, l’Adelphe Floréal et l’Adelphe Fructidor forment un trio typographique épicène, permettant d’expérimenter avec des outils typographiques le champ des possibles pour le développement d’une écriture (et par extension d’une langue) véritablement inclusive, objectif ultime de son travail de recherche entamé en 2020 à l’ANRT.
À l’occasion du workshop « No No Normo » sur l’écriture inclusive proposé par Bye Bye Binary en juillet 2021 lors du No No Fest, elle propose ainsi un normographe permettant de tracer certains des signes inclusifs développés pour l’Adelphe.

le normographe d’Eugénie Bidaut issu du workshop No No Normo, Eugénie Bidaut

La boucle est ainsi bouclée : quand Éloïsa Pérez facilite aux enfants l’apprentissage des bases de l’écriture, Joseph David donne un outil permettant d’écrire l’ensemble des signes nécessaires à la communication écrite et Eugénie Bidaut vient enfin questionner les normes et conventions de l’écriture actuelle.


  1. Éloïsa Pérez, eloisaperez.fr
  2. « L’écriture en jeu : à propos du travail d’Éloïsa Pérez », Thomas Huot-Marchand, 2018 (source)
  3. « L’Interview Timbrée - 24 - Éloïsa Pérez », Maison tangible, 5 octobre 2017 (source)
  4. « Trace-lettre », wikipedia (source)
  5. « Pochoir », wikipedia (source)
  6. PDU, Colophon Foundry (source)
  7. Josef Albers, Bauhaus Stencil Lettering System (Kombinations-Schrift), 1926-1931, MoMA (source)
  8. Eugénie Bidaut eugéniebidaut.eu
  9. « Langage épicène », wikipedia (source)
  10. No No Fest – festival des pratiques queer, Maison populaire, Montreuil (source)
  11. « Focus sur… la typographie inclusive avec Caroline Dath » , CNAP, 21 avril 2021 (source)
  12. typo-inclusive.net

Signalisation routière multilingue

Vivant en Bretagne, je suis souvent confronté à des panneaux de signalisation routière bilingue français/breton. Cette pluralité me semble tout à fait justifiée puisqu’elle permet la mise en valeur de la particularité culturelle locale. D’un certain point de vue elle participe à la sauvegarde des langues régionales et locales françaises.

Signalisation bilingue à Quimper.
Signalisation bilingue à Quimper – Wikimedia

Hiérarchisation supposée des langues

Le fonctionnement de ce bilinguisme est simple : le français est placé en premier, au dessus, et le breton est placé ensuite, en dessous, dans une variante moins grasse et italique du caractère typographique, parfois le texte régional est dans un corps légèrement supérieur. Le fait de mettre en premier le français, puis la variante régionale en dessous est plutôt normal, la langue officielle de la France étant le français uniquement, il paraît logique que le français soit le premier élément affiché. On peut débattre de cet état de fait, mais ce n’est pas la question ici. Cependant, la mise en graisse plus légère, la mise en italique et l’éventuel changement de corps me semblent moins justifiées. La hiérarchie d’ordre français puis langue régionale se suffit à elle-même. L’italique, par convention typographique, est souvent utilisée pour insérer au sein d’un texte un passage (souvent quelques mots) en langue étrangère. Devons-nous considérer le breton (ou le corse, ou le basque) comme une langue étrangère, en France ? Ceci n’est guère satisfaisant puisque ces langues sont des héritages culturels de notre pays, elles n’y sont pas étrangères à proprement parler. On peut rétorquer que l’italique est aussi une marque typographique de l’emphase dans une texte, mettant dans le cas qui nous intéresse en avant la tradition langagière locale. Je peux l’admettre, mais dans ce cas, pourquoi, en plus de l’italique, mettre le texte en langue régionale dans un corps moins gras que le français ? Cela semble beaucoup pour différencier deux variantes d’une même information : en dessous et en italique et dans une graisse plus claire. Le français, langue officielle, apparait alors visuellement plus importante, en écrasant sa variante régionale, est-ce donc là le signe d’une volonté politique ? En tout cas, l’italique ne serait pas d’un usage réglementaire dans le cas qui nous préoccupe :

« Les caractères italiques de type L4 sont utilisés pour les inscriptions sur les panneaux C14 […]. Les caractères de type L4 sont également utilisés pour les inscriptions secondaires ou complémentaires sur les panneaux de type D et EB. »

Instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, première partie (version du 16/04/2019), p. 29

Les panneaux de type D étant les panneaux de direction et les panneaux EB les panneaux d’entrée des communes. L4 est le nom du caractère typographique italique utilisé dans la signalisation routière française. D’après ce texte l’italique doit être utilisé uniquement pour des informations secondaires sur ces panneaux. Doit-on considérer un texte en langue régionale comme une information secondaire et non pas comme une information principale ? La notation bilingue occupe à priori un certain flou législatif et normatif : la langue française doit forcément être présente, et son installation est normée, mais rien ne s’oppose à l’ajout de versions en langues régionales, qui est tolérée voire encouragée, la jurisprudence allant en ce sens si l’on en croit cet arrêt de la Cour administrative de Marseille, datant de 2012.

Faciliter la lecture ?

On pourrait arguer que la nette séparation visuelle entre les éléments en langues différentes permet de faciliter la lecture, et de guider les personnes dans leur recherche d’informations, les artifices typographiques cités précédemment étant les outils de cette lisibilité. Seulement des pays qui utilisent une notation bilingue, il y en a beaucoup. Et dans de nombreux cas il n’est pas fait de distinction typographique entre les langues, mise à par la hiérarchisation de position. Dans l’état du Nouveau-Brunswik (Canada), les panneaux stop possèdent à la fois le texte en anglais « stop », et (en dessous) le texte en français « arrêt ». Même chose en Belgique où la particularité des langues utilisées permet même des composition de texte en miroir avec le français en premier puis le néerlandais ensuite [image correspondante]. Il en va de même sur certains éléments de signalétique en Irlande du Nord, où l’anglais et l’irlandais se mêlent, avec toutefois l’irlandais en première position dans ce cas, ce qui n’a rien d’anodin politiquement.

Signalisation bilingue à Bruxelles – Wikimedia

Les canadiens, les belges et les anglais savent-ils mieux lire l’information que nous ? Probablement que non, notre œil parvient sans mal à balayer un texte et lire ce qu’il connait tout en ignorant celui qu’il ne peut déchiffrer. Il s’agit simplement d’une habitude de lecture qu’il est tout à fait aisée de prendre, ces deux exemples en étant un indice. Et puis cela permet, pour peut qu’on s’y intéresse, d’acquérir du vocabulaire de l’autre langue, ce qui me semble un atout. Certaines études s’intéressant à cette question donnent des résultats variés, avec tantôt aucun effet particulier du bilinguisme (ici), tantôt un réflexe de réduction de vitesse ou une diminution des performances de conduite dans le cas d’une forte densité d’informations à lire (ici ou ici). Difficile donc pour moi de donner une conclusion définitive, mais il semble que ce soit plutôt la densité des panneaux à lire qui pose problème, et finalement assez peu leur bilinguisme, la question reste donc ouverte.

Plusieurs langues et plusieurs alphabets

Là où le multilinguisme peut poser problème est quand il s’agit de mêler des langues utilisant des alphabets différents. Mélanger des textes en français et bretons qui utilisent l’alphabet latin n’est pas si compliqué, mais lorsqu’il s’agit de mêler l’abjad arabe, l’alphabet latin et l’abjad tifinagh (alphabet berbère) dans un même panneau, c’est une tâche bien moins aisée. Du fait de leur graphie différente, il est difficile, voire impossible, de rendre ces trois systèmes de manière cohérente et homogène visuellement.

Panneau trilingue dans la province de Tiznit, au Maroc – Wikimedia.

Dans l’image si dessus le français paraît plus noir visuellement et compact ; par sa construction, l’arabe est particulièrement noir sur sa ligne de connexion horizontale ; le Tifinagh lui, étant plus aéré, parait plus clair malgré un encombrement vertical plus fort que l’arabe. Ces différences formelles délimitent à elles seules les trois langues et ne nécessitent donc pas d’outils typographiques supplémentaires, qui de toutes façon n’auraient pas lieux d’être puisque ces alphabets ne possèdent pas les mêmes outils : système bilacaméral du latin, styles de l’arabe, variantes italiques et obliques, etc. Le Maroc ou l’Algérie sont deux pays qui font des efforts dans le sens du multilinguisme inscrit dans la loi, formalisation de leur héritage culturel. Que dire également de la signalétique frontalière, ou de celle présente dans des hub internationaux, tels que des aéroports ou des gares ? À l’aéroport Charles de Gaulles, les langues sont dans le même corps, la même graisse, mais en blanc pour le français, et jaune pour l’anglais. Pour ceux voulant explorer l'aspect sociologique de la signalétique et les problèmes liés à la hiérarchisation de l'information, je conseille la lecture de Petite sociologie de la signalétique – Les coulisses des panneaux de métro, par les chercheurs Jérôme Denis & David Pontille.

Que penser de notre système français ?

Selon moi, et cet avis n’est pas celui d’un expert en signalétique, en typographie ou en histoire, la sur-différenciation adopté dans notre pays n’est pas tant une histoire de facilité de lecture qu’une volonté politique de voir la France comme un tout uniforme, avec une seule culture, une seule histoire, et donc, évidemment, une seule langue. Les arguments pour défendre cet état de fait me semble bien pauvres face à la réalité de notre nation, qui n’a jamais été un ensemble constant et homogène. La transposition en signalétique l’est encore moins puisqu’elle se base sur des artifices typographiques empilés en excès. Mais la législation française n’empêche pas non plus l’usage de langues régionales, en sus du français, c’est même, jusqu’à un certain point, encouragé. On peut néanmoins regretter l’absence d’une formalisation claire, inscrite dans la loi, des règles de présentation et de mise en forme de ces éléments qui permettraient de mettre la langue française et les langues régionales dans un rapport formel moins hiérarchique et plus complémentaire : si l’on peut écrire les noms de rues avec les mêmes règles typographiques pour le français et le breton, pourquoi ne pas en faire de même pour les panneaux de direction ? Les solutions graphiques et typographiques ne manquent pourtant pas.


  1. « Signalisation routière bilingue », Wikipédia (source)
  2. « Multilingual road signs are crucial for cultural inclusivity », Wilson Wen, the-peak.ca, 23 février 2015 (source)
  3. Numéro complémentaire du Journal Officiel de la République Française, 7 avril 1982, pp. 4-15 (source pdf)
  4. Instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, première partie (version du 16/04/2019), p. 29 (source (pdf))
  5. « Réglementation autour de la signalétique bilingue dans une commune », Benjamin Assié, CIRDOC - Institut occitan de cultura, occitanica.eu, 2015 (source)
  6. « Bilingual signs ‘no danger’ », BBC News, 5 Décembre 2000 (archive) (source)
  7. « Evaluating the effects of bilingual traffic signs on driver performance and safety », S. L. Jamson & al., Ergonomics, 15 Décembre 2005 (source)
  8. « Driving simulator study of the comparative effectiveness of monolingual and bilingual guide signs on Chinese highways », Yanqun Yang & al., Transportation Research Part F: Traffic Psychology and Behaviour, Volume 68, Janvier 2020, Pages 67-78 (source)
  9. « Styles Calligraphiques arabes », Wikipédia (source)
  10. « Les 4 meilleurs styles de calligraphie arabe », muslim-mine.com (source)
  11. « Tifinagh », Wikipédia (source)
  12. Petite sociologie de la signalétique – Les coulisses des panneaux de métro, Jérôme Denis & David Pontille, Presse des Mines, 2010.