Alexandre Texier

Symboliser le handicap

J’ai récemment regardé la captation d’un live de la chaîne YouTube La tronche en biais intitulée « Maladies (et handicaps) invisibles ». Au delà de la thématique abordée et clairement évoquée dans le titre de ce live, j’y ai appris qu’en France, 80% des handicaps étaient des handicaps invisibles. Cela inclut entre autres des troubles physiologiques ou psychologiques qui ne sont pas marqués sur les fronts des personnes. Pourtant quand on pense handicap, on pense prioritairement à un handicap physique. D’ailleurs, la signalisation du handicap reflète ce biais, puisque l’on montre une personne en fauteuil roulant. On représente ainsi des personnes handicapées par un type d’handicap qui ne concerne donc qu’au maximum 20% de celles-ci. Pourquoi donc associer visuellement le handicap à ce qui n’est au final qu’une très faible portion de la réalité ?

Un pictogramme international du handicap ?

Le pictogramme du handicap que nous connaissons tous c’est celui intégré à la norme ISO 7001, norme contenant 177 symboles spécifiquement dédiée aux symboles d’informations publiques, parue en 1980, mais dont la dernière mise à jour date de 2023.

Le pictogramme ISA notant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite

Ce symbole, dessiné dans sa première version par Susanne Koefoed en 1968 montre un fauteuil roulant stylisé et vu de côté. Dans sa version finale ce symbole représente une personne assise dans une fauteuil roulant grâce à l’ajout par Karl Montan d’un cercle en haut du siège du dessin original. On passe ainsi d’un fauteuil vide à un fauteuil occupé par une personne. Ce pictogramme est officiellement nommé ISA : International Symbol of Access (Symbole international d’accès), indiquant un lieu dont l’accès a été facilité pour les personnes à mobilité réduite. Dans la norme, son code est AC001. AC pour la catégorie « Accessibility » et 001 pour son index, le premier de cette catégorie. Ce pictogramme n’est donc pas à proprement parlé un pictogramme montrant le handicap, mais un pictogramme évoquant la résolution d’une problématique particulière, liée aux handicaps : la difficulté de déplacement et d’accès à certains lieux.

Un handicapé n’est pas une personne passive

Quelques dizaines d’années plus tard, entre 2009 et 2011, Tim Ferguson Sauder, Sara Hendre et Brian Glenney développent The Accessible Icon Project, un projet visant à créer et promouvoir un nouveau symbole graphique pour l’ISA qui serait moins stigmatisant. En effet le symbole original, très stylisé, montre une personne handicapée statique, là où pour ce trio, il faudrait plutôt montrer que les personnes handicapées sont actives et capables de faire les propres choix, plutôt que d’êtres déplacées de façon passive, ajoutant à leur mise au banc de la société. Le pictogramme original, pourtant très spécifique, était donc devenu un symbole du handicap de façon générale.

L’ISA revisité par The Accessible Icon Project

Dans cette nouvelle version libre de droit et en accès public, on remarque d’abord l’impression de mouvement et d’énergie du personnage, tête en avant, bras en arrière pour faire avancer son fauteuil. Ce dernier n’est d’ailleurs quasiment plus visible, puisque seule sa roue est figurée. Le dossier qui avait été transfiguré en personne par l’ajout du cercle est complètement enlevé au profit du personnage bien plus identifiable et plus proche du design des autres figures humaines présentes dans la norme ISO 7001 d’ailleurs. Si cette proposition n’a pas été officiellement intégrée à la norme elle-même, elle a été largement adoptée par le biais de son correspondant dans la norme Unicode via l’emoji « ♿ » et ses variations graphiques dépendantes des différents constructeurs de services numériques (Twitter, Apple, Facebook, etc.). Fait intéressant également, le MoMA a intégré cette proposition à sa collection permanente en 2013 et l’a présenté entre 2014 et 2015 dans l’exposition A Collection of Ideas, signe de l’importance du projet.

Pour une signalisation des handicaps et de leurs réalités

Comme je le disais en tout début de ce texte, on ne représente via l’ISA qu’une très petite partie de la réalité du handicap. Dans la captation du live est ainsi évoquée ce que je disais précédemment : en France, 80% des handicaps sont invisible. Aussi, et suite à l’organisation en 2018 d’un groupe de travail piloté par Cardiogen & la Fava-multi est proposé un pictogramme représentant les handicaps invisibles.

La proposition de pictogramme pour les handicaps invisibles

Le pictogramme reprend le fond bleu déjà en place dans les autres éléments d’information de ce type, et montre une personne de face faisant un signe de salut de la main et dont l’ombre projetée montre une personne en fauteuil faisant elle aussi un signe de la main. Une évocation assez cohérente de l’idée que ce que l’on voit cache peut-être la réalité d’une situation personnelle plus complexe. L’idée de la personne en fauteuil roulant comme symbole universel du handicap est reprise.

Évidemment d’autres pictogrammes montrant d’autres formes d’handicap existent, y compris dans la norme ISO 7001. On peut citer par exemple des pictogramme indiquant l’accessibilité à des chiens guides, l’adaptation à des personnes malentendantes ou malvoyantes. Cependant ils me semblent avoir une empreinte visuelle moins forte auprès du public que celle de l’ISA, qui, comme déjà évoqué, est devenu un symbole général du handicap et qui a par la même occasion biaisé notre compréhension du handicap et de ses formes bien plus variées que ce symbole peut nous le laisser penser.

Les pictogrammes pour l’accessibilité aux chiens guides, une adaptation des services aux malentendants et aux malvoyants

On remarque via ces exemples successifs que le rapport à l’image du handicap a changé. Au départ le pictogramme ne devait que rendre visible des moyens facilitant l’accessibilité à des personnes à mobilité réduite, et en particulier les personnes en fauteuil roulant, de façon très pragmatique. Aujourd’hui la question de l’accessibilité est (censée être) acquise, aussi les problématiques se sont déplacées vers des questions plus profondes de la vision même du handicap. L’idée est de sortir du cliché de la personne dépendante, comme le montre le pictogramme du projet The Accessible Icon Project, ou du handicap comme étant forcément un marqueur physique visible, ce qui n’est pas le cas de la majorité des handicaps, comme déjà vu.

Développer des pictogrammes montrant la variété des atteintes et des troubles physiques et psychologiques, c’est leur donner une existence publique et les sortir de l’ombre d’une part, et faire en sorte que les personnes les subissant puissent vivre d’une façon plus digne d’autre part. Créer un pictogramme puis en proposer une nouvelle version ou y adjoindre des compléments c’est, par certains aspects, un processus politique et social.


  1. « ISO 7001 », wikipedia (source)
  2. ISO 7001:2023 – Symboles graphiques – Symboles destinés à l’information du public enregistrés, ISO, 02/2023 (source)
  3. « International Symbol of Access », wikipedia (source)
  4. Accessible Icon Project, Sara Hendren & Brian Glenny, accessibleicon.org (source)
  5. « Accessible Icon Project: overview », Tim Ferguson-Sauder (source)
  6. « Wheelchair symbol », emojipedia.org (source)
  7. « Création du pictogramme handicap invisible dans les maladies rares », rendrevisible.fr, 28/11/2018 (source)
  8. « Handicap invisible », APF France handicap (source)
  9. « Connaissez-vous les pictogrammes de personnes en situation de handicap ? », handinorme.com, version du 27/12/2021 (source)
  10. « Pictogrammes », dans la rubrique Culture et handicap, Ministère de la Culture, 11/03/2019 (source)

Un signe lisible pendant 250 000 ans

Une résidence de recherche en design graphique associant L’ANDRA, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et le Signe, Centre national du graphisme pourrait sembler étonnante de prime abord, n’est-ce pas ?

Prospectives graphiques

Lancée en 2019 par le Signe, Prospectives graphiques est une résidence de recherche prise en charge par Sébastien Noguera (designer graphique) et Charles Gautier (chercheur) sur les enjeux de la signalétique des lieux de stockage des déchets radioactifs. Ces déchets radioactif ayant des demies-vies parfois très longues, les lieux de stockage de ces produits devront être actifs durant 250 000 ans. Il s’agit donc de trouver des solutions graphiques, typographiques ou plastiques pour signifier – au delà des cultures et des générations – le danger de ces lieux et des déchets qui s’y trouvent. Rien que cela.

Un système de sens multiple

L’enjeu de cette recherche et donc de penser un système complet pouvant être efficace sur un temps extrêmement long. Pour espérer fonctionner, le système doit être multi-modal, multi-support et multilingue.
Il invoque ainsi des questions d’ordre géographique sur le marquage du territoire concerné par le stockage : murs, monolithes, géoglyphes, barrières, panneaux et tout autres modalités de constructions ou d’aménagement du territoire permettant de faire comprendre l’aspect dangereux d’un lieu.
Il s’agit également de trouver des signes et des manières langagières de transmettre les instructions et les recommandations, via ce que l’on pourrait qualifier de pierre de Rosette avec des textes en différentes langues, mais aussi des éléments plus graphiques et illustratifs, à la manière de l’art rupestre, ou plus récemment, de la plaque envoyée dans l’espace sur le sonde Pioneer.
On tente par là de multiplier les voies de communication afin d’assurer la transmission du message. Si une langue disparait, des significations paraissant normales pour nous aujourd’hui ne le seront probablement plus dans 250 000 ans, les autres modes évoqués précédemment pourront palier à cette perte. En tout cas on l’espère.

Un dessin présentant un possible dispositif complet d’information sur un espace dangereux © Sébastien Noguera

Un signe pour la nocivité

Après un long travail de recherche sur des systèmes graphiques et de communication, un des premier axe de recherche a été de partir du signe de danger radioactif « ☢ » afin de lui ajouter des éléments signifiant les demies-vies des éléments concernés par ce marquage, rendant l’information de dangerosité plus précise. Le signe étant déjà bien connu, la proposition semble à la fois simple et facile à mettre en place.
S’est posé ensuite un questionnement plus large, à savoir la création d’un signe associé à la nocivité. Formellement cette proposition se base sur un triskèle, une forme triple, que l’on pourrait rapprocher du signe de la radioactivité dans son emprise visuelle globale. Néanmoins, là où le signe pour la radioactivité est découpé, géométrique et anguleux, ici le signe est unifié et a des courbes douces, arrondies voire d’aspect organique. Cet aspect organique est d’ailleurs tout a fait souhaité puisqu’il s’inspire du monde animal et des éléments d’avertissement visuel de certains animaux pour signifier aux prédateurs qu’ils sont venimeux (regardez les grenouilles dendrobates par exemple), ou pour parler avec des termes plus scientifique : l’aposématisme.

Un dessin présentant un monolithe affublé de la proposition de signe pour la nocivité © Sébastien Noguera

De mon point de vue de quelqu’un de 2023, ce signe organique et rond ne m’évoque pas vraiment le danger, ni aucune idée négative d’ailleurs. Ma culture visuelle actuelle associe le danger sous forme graphique à des dessins droits, piquant, anguleux, comme le signe pour la radioactivé « ☢ » ou celui pour le risque biologique « ☣ ». Est-ce donc un échec ? Et bien non, car ce n’est pas un problème solvable en 5 mois (la durée de la résidence) et par une seule proposition.

Vu l’enjeu du projet et sa temporalité d’action, seul des Nostradamus pourraient prédire le système graphique et les modes de communication des peuples (humains ou non d’ailleurs) et de leurs cultures qui fouleront la Terre dans des milliers d’année. Le projet de cette résidence n’était pas, il me semble, de résoudre le problème soulevé, mais plutôt de planter des graines de solutions qui seront à étudier, améliorer, critiquer et expérimenter sur un temps long.


  1. “Prospectives graphiques”, Sébastien Noguera & Charles Gautier, du 27/05/21 au 31/08/21, le Signe Centre national du Graphisme (source)
  2. “Au Signe, les artistes poursuivent leur réflexion sur la transmission de la mémoire de Cigéo”, ANDRA, 24/06/2021 (source)
  3. “Mémoire : Une journée d’étude autour de la résidence ‘Prospectives Graphiques’ ”, ANDRA, 25/03/2020 (source)
  4. “Prospectives Graphiques : signaler la présence des déchets radioactifs” (conférence), Sébastien Noguera, 09/03/2020 (source)
  5. “Nuclaire, avertir pour demain”, Marion Bothorel, Étapes n°255, mai 2020
  6. “Au secours ! Écrire le danger dans l’espace public”, Johannes Bergerhausen, Rencontres du 3e type, ENSAD Nancy & ANRT, 19 février 2018 (source)
  7. “Why danger symbols can’t last forever”, (vidéo), Chrisophe Haubursin – Vox, 26 janvier 2018 (source YouTube)
  8. “Que faire de nos déchets nucléaires ?”, 42 – La réponse à presque tout (émission), Arte, 23/10/2021 (source)

Panneau jaune

Habitué aux panneaux de signalisation avec fond rouge, le jaune-orange est plutôt associé, chez nous en tous cas, aux éléments de signalisation temporaires, en premier lieu lors de travaux de voirie. Aujourd’hui donc place à une petite anecdote sur la signalisation routière.

Red is the new Yellow

Si je vous dit panneau de signalisation octogonal, tout le monde comprend duquel il s’agit, puisque sa forme octogonale le rend unique dans le paysage de la signalétique routière. Ce panneau Stop, son fond rouge, son écriture blanche, tout le monde le connait. Il fait presque partie des meubles, comme s’il avait toujours été là.

Pourtant, aux origines de ce panneau, son fond n’était pas blanc sur fond rouge, mais noir sur fond jaune, d’après l’accord de standardisation américain de 1924. Ce n’est que plus tard que le fond fut changé pour le rouge que nous connaissons actuellement. Sa forme octogonale a elle été gardée, car elle permettait de différencier très clairement ce panneau, par sa forme unique, des autres du système de signalisation routière. Pourquoi donc ce changement de couleur ? Et bien la réponse est tout à faire pragmatique : à l’époque cette peinture jaune était celle qui était la plus résistante dans le temps, assurant une tenue de longue durée, plutôt pratique pour un élément de signalisation routière. Ce n’est donc que plus tard que la peinture rouge, une fois rendue assez résistante, fut adoptée et ce n’est qu’encore plus tard que l’effet de réflection lumineuse fut introduit.

Le panneau stop sur fond jaune
Le panneau stop sur fond jaune – wikimedia

C’est en 1954 que les États-Unis adoptent définitivement le changement de jaune au rouge pour le fond du panneau, et en 1968 qu’il fut adopté par la Convention de Vienne sur la signalisation routière, rendant le système routier cohérent à l’échelle mondiale.


  1. « Stop sign », Wikipedia (source)
  2. « The cost of Colour », § ’Stop for Yellow’, The Politics of Design, Ruben Pater, p.73, Bis publishers, 2017
  3. « Stop Signs Used to Be Yellow More Recently Than You Think », Reader’s Digest, Meghan Jones, 31 décembre 2017 (source)

Panneaux de signalisation anachroniques

Comme beaucoup j’ai passé mon permis de conduire, et donc mon code de la route. Passer ce dernier passe pour être la partie la plus ennuyeuse de l’apprentissage de la conduite. Personnellement je suis plutôt d’accord : c’est une étape obligatoire pour des raisons évidentes de sécurité avant d’être effectivement sur la route, mais passer 40 minutes à regarder des images et à appuyer sur des boutons, ce n’est pas très excitant. Le Code de la route, c’est un langage fait de règles, d’icônes, d’indices, de symboles, qu’il faut apprendre à voir, à comprendre et à lire avant de pouvoir tracer la route de manière sûre.

Des signes anachroniques ?

Parmi les nombreux panneaux figuratifs, deux m’ont toujours étonné par leur design. Il s’agit des panneaux indiquant un passage à niveau sans barrière et celui avec barrière, respectivement nommés A8 et A7 dans la nomenclature légale (A étant le groupe des panneaux de danger, de forme triangulaire). Le panneau A8 présente une locomotive à vapeur et la fumée qu’il émet. Le panneau A7 représente une barrière qui me parait être une barrière de jardin en bois typique.

Les panneaux de signalisation A7 et A8
Le panneau A7 (modèle 1977) et le panneau A8 (modèle 1977)

Hormis quelques exception à vertu historique, je pense que l’on peut admettre que les train à vapeur sont loin d’être la majorité des train circulant sur les voies ferrées françaises. Pour la barrière on peut dire que la forme actuelle (nomenclature G2) est tout de même très éloignée du design présenté sur le panneau. Je n’ai d’ailleurs pas trouvé d’éléments historiques indiquant que cette forme correspondait effectivement à un type historique, mis à part une série de photographies de Paul Dubout (ici) montrant, en Australie, des barrières de part et d’autre d’un passage à niveau qui sont très proches du symbole du panneau. À noter que les dites barrières ne sont pas celles qui bloquent la voix, mais celles qui circonscrivent l’espace où voix ferrée et voix routière se rencontrent. On a peut-être là une origine du symbole sur le panneau, si le système australien et français ont des accointances, chose pour laquelle je n’ai aucune preuve.

On a donc là deux exemples de panneaux qui sont très clairement éloignés de la réalité des équipements contemporains, il représentent des éléments qui font écho à une période bien différente. Le panneau A7 a été introduit en 1946, et son symbole principal n’a pas évolué depuis, contrairement à l’évolution de l’équipement automatisé qu’il représente, dont la version actuelle a été formalisée en 1963 avec le dispositif G2, comprenant la barrière XK3, le signal lumineux R24 et les balises J10 (certains dispositifs ont été introduit dans la réglementation officielle après le début de leur utilisation). Le panneau A8, de manière similaire, a été introduit en 1946 et son symbole principal n’a pas évolué depuis, malgré l’arrivée de trains fonctionnant avec des technologies différentes qui on supplantés le train à vapeur.

Les versions historiques des panneaux A7 & A8 : 1946, 1952 et les versions actuelles de 1977.

Pour une mise à jour des symboles

Une question se formule alors : pourquoi ne pas mettre à jour le symbole présent sur ces panneaux, afin d’effacer cette dissonance entre l’élément réel et sa représentation simplifiée sur le panneau ? Après tout des panneaux plus récents montrent de manière plus adéquate l’évolution technologique des transports, avec par exemple le panneau annonçant la traversée d’une voix de tramway, datant de 1999, dans un graphisme assez proche du panneau A8. Évoquons également l’idéogramme annonçant une gare ferroviaire, introduit en premier lieu en 2008, avec un graphisme qui, chose rare, intègre un effet de perspective.

Le panneau A9b, signalant la traversée d’une voix de tramway (1998) et l’idéogramme ID12a signalant une gare ferroviaire (2008).

La signalisation routière est normée au niveau européen et international, avec le traité international de Vienne de 1968 (ici) suivi par l’accord européen de Genève de 1971 (ici). On peut comprendre qu’un changement de symbole puisse ne pas être aussi simple que cela, puisqu’il faudrait trouver un accord à l’échelle de plusieurs pays européens voire à l’échelle mondiale pour adopter un nouveau signe commun. Mais si des accords passés on pu être possibles, je ne vois pas pourquoi un addendum ou une mise à jour cohérente concernant ces deux panneaux ne soit pas possible.

Le problème du changement d’habitude

Évidemment le risque est de rencontrer des réticences quand à ce changement, sous prétexte de la difficulté à ré-apprendre ou d’une tradition à sauvegarder. Or, et on peut faire le parallèle avec la langue, tout système évolue et doit s’adapter aux changement de son environnement, des signes (ou des mots) disparaissent tandis que d’autres doivent être créés pour répondre à de nouveaux besoin. Enfin certains signes (ou mots) changent de sens. Auparavant le mot pour signifier « renard » était goupil, puis suite à la publication du Roman de Renart, le mot goupil a été petit à petit supplanté par le nouveau mot renard que nous connaissons (car un des personnage du Roman est un goupil se prénommant Renart). Rien n’empêche de faire de même avec les deux symboles qui nous intéressent. On peut envisager une période de transition présentant les deux formes cote à cote afin de contenter les plus conservateurs des usagers de la route. Si on propose des signes plus adaptés au contexte contemporain, et qui sont évidemment bien conçus, l’adoption se fera sans anicroche puisqu’elle paraitra comme logique.


  1. « Signalisation routière en France », Wikipédia (source)
  2. « Panneau de signalisation routière en France », Wikipédia (source)
  3. « Signalisation routière » (thème), routes.fandom.com (source)
  4. Arrêté du 22 octobre 1963 relatif à la signalisation routière, Journal Officiel de la République Française, 28 décembre 1963 (source pdf)
  5. « Convention de Vienne sur la signalisation routière », Wikipédia (source)
  6. « Accord européen de Genève sur la signalisation routière », Wikipédia (source)
  7. La totalité des images sont issues de wikimedia commons. Le tracé du symbole du panneau A8 de wikimedia présenté ici est légèrement différent du panneau réel, veuillez m’en excuser.

Signalisation routière multilingue

Vivant en Bretagne, je suis souvent confronté à des panneaux de signalisation routière bilingue français/breton. Cette pluralité me semble tout à fait justifiée puisqu’elle permet la mise en valeur de la particularité culturelle locale. D’un certain point de vue elle participe à la sauvegarde des langues régionales et locales françaises.

Signalisation bilingue à Quimper.
Signalisation bilingue à Quimper – Wikimedia

Hiérarchisation supposée des langues

Le fonctionnement de ce bilinguisme est simple : le français est placé en premier, au dessus, et le breton est placé ensuite, en dessous, dans une variante moins grasse et italique du caractère typographique, parfois le texte régional est dans un corps légèrement supérieur. Le fait de mettre en premier le français, puis la variante régionale en dessous est plutôt normal, la langue officielle de la France étant le français uniquement, il paraît logique que le français soit le premier élément affiché. On peut débattre de cet état de fait, mais ce n’est pas la question ici. Cependant, la mise en graisse plus légère, la mise en italique et l’éventuel changement de corps me semblent moins justifiées. La hiérarchie d’ordre français puis langue régionale se suffit à elle-même. L’italique, par convention typographique, est souvent utilisée pour insérer au sein d’un texte un passage (souvent quelques mots) en langue étrangère. Devons-nous considérer le breton (ou le corse, ou le basque) comme une langue étrangère, en France ? Ceci n’est guère satisfaisant puisque ces langues sont des héritages culturels de notre pays, elles n’y sont pas étrangères à proprement parler. On peut rétorquer que l’italique est aussi une marque typographique de l’emphase dans une texte, mettant dans le cas qui nous intéresse en avant la tradition langagière locale. Je peux l’admettre, mais dans ce cas, pourquoi, en plus de l’italique, mettre le texte en langue régionale dans un corps moins gras que le français ? Cela semble beaucoup pour différencier deux variantes d’une même information : en dessous et en italique et dans une graisse plus claire. Le français, langue officielle, apparait alors visuellement plus importante, en écrasant sa variante régionale, est-ce donc là le signe d’une volonté politique ? En tout cas, l’italique ne serait pas d’un usage réglementaire dans le cas qui nous préoccupe :

« Les caractères italiques de type L4 sont utilisés pour les inscriptions sur les panneaux C14 […]. Les caractères de type L4 sont également utilisés pour les inscriptions secondaires ou complémentaires sur les panneaux de type D et EB. »

Instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, première partie (version du 16/04/2019), p. 29

Les panneaux de type D étant les panneaux de direction et les panneaux EB les panneaux d’entrée des communes. L4 est le nom du caractère typographique italique utilisé dans la signalisation routière française. D’après ce texte l’italique doit être utilisé uniquement pour des informations secondaires sur ces panneaux. Doit-on considérer un texte en langue régionale comme une information secondaire et non pas comme une information principale ? La notation bilingue occupe à priori un certain flou législatif et normatif : la langue française doit forcément être présente, et son installation est normée, mais rien ne s’oppose à l’ajout de versions en langues régionales, qui est tolérée voire encouragée, la jurisprudence allant en ce sens si l’on en croit cet arrêt de la Cour administrative de Marseille, datant de 2012.

Faciliter la lecture ?

On pourrait arguer que la nette séparation visuelle entre les éléments en langues différentes permet de faciliter la lecture, et de guider les personnes dans leur recherche d’informations, les artifices typographiques cités précédemment étant les outils de cette lisibilité. Seulement des pays qui utilisent une notation bilingue, il y en a beaucoup. Et dans de nombreux cas il n’est pas fait de distinction typographique entre les langues, mise à par la hiérarchisation de position. Dans l’état du Nouveau-Brunswik (Canada), les panneaux stop possèdent à la fois le texte en anglais « stop », et (en dessous) le texte en français « arrêt ». Même chose en Belgique où la particularité des langues utilisées permet même des composition de texte en miroir avec le français en premier puis le néerlandais ensuite [image correspondante]. Il en va de même sur certains éléments de signalétique en Irlande du Nord, où l’anglais et l’irlandais se mêlent, avec toutefois l’irlandais en première position dans ce cas, ce qui n’a rien d’anodin politiquement.

Signalisation bilingue à Bruxelles – Wikimedia

Les canadiens, les belges et les anglais savent-ils mieux lire l’information que nous ? Probablement que non, notre œil parvient sans mal à balayer un texte et lire ce qu’il connait tout en ignorant celui qu’il ne peut déchiffrer. Il s’agit simplement d’une habitude de lecture qu’il est tout à fait aisée de prendre, ces deux exemples en étant un indice. Et puis cela permet, pour peut qu’on s’y intéresse, d’acquérir du vocabulaire de l’autre langue, ce qui me semble un atout. Certaines études s’intéressant à cette question donnent des résultats variés, avec tantôt aucun effet particulier du bilinguisme (ici), tantôt un réflexe de réduction de vitesse ou une diminution des performances de conduite dans le cas d’une forte densité d’informations à lire (ici ou ici). Difficile donc pour moi de donner une conclusion définitive, mais il semble que ce soit plutôt la densité des panneaux à lire qui pose problème, et finalement assez peu leur bilinguisme, la question reste donc ouverte.

Plusieurs langues et plusieurs alphabets

Là où le multilinguisme peut poser problème est quand il s’agit de mêler des langues utilisant des alphabets différents. Mélanger des textes en français et bretons qui utilisent l’alphabet latin n’est pas si compliqué, mais lorsqu’il s’agit de mêler l’abjad arabe, l’alphabet latin et l’abjad tifinagh (alphabet berbère) dans un même panneau, c’est une tâche bien moins aisée. Du fait de leur graphie différente, il est difficile, voire impossible, de rendre ces trois systèmes de manière cohérente et homogène visuellement.

Panneau trilingue dans la province de Tiznit, au Maroc – Wikimedia.

Dans l’image si dessus le français paraît plus noir visuellement et compact ; par sa construction, l’arabe est particulièrement noir sur sa ligne de connexion horizontale ; le Tifinagh lui, étant plus aéré, parait plus clair malgré un encombrement vertical plus fort que l’arabe. Ces différences formelles délimitent à elles seules les trois langues et ne nécessitent donc pas d’outils typographiques supplémentaires, qui de toutes façon n’auraient pas lieux d’être puisque ces alphabets ne possèdent pas les mêmes outils : système bilacaméral du latin, styles de l’arabe, variantes italiques et obliques, etc. Le Maroc ou l’Algérie sont deux pays qui font des efforts dans le sens du multilinguisme inscrit dans la loi, formalisation de leur héritage culturel. Que dire également de la signalétique frontalière, ou de celle présente dans des hub internationaux, tels que des aéroports ou des gares ? À l’aéroport Charles de Gaulles, les langues sont dans le même corps, la même graisse, mais en blanc pour le français, et jaune pour l’anglais. Pour ceux voulant explorer l'aspect sociologique de la signalétique et les problèmes liés à la hiérarchisation de l'information, je conseille la lecture de Petite sociologie de la signalétique – Les coulisses des panneaux de métro, par les chercheurs Jérôme Denis & David Pontille.

Que penser de notre système français ?

Selon moi, et cet avis n’est pas celui d’un expert en signalétique, en typographie ou en histoire, la sur-différenciation adopté dans notre pays n’est pas tant une histoire de facilité de lecture qu’une volonté politique de voir la France comme un tout uniforme, avec une seule culture, une seule histoire, et donc, évidemment, une seule langue. Les arguments pour défendre cet état de fait me semble bien pauvres face à la réalité de notre nation, qui n’a jamais été un ensemble constant et homogène. La transposition en signalétique l’est encore moins puisqu’elle se base sur des artifices typographiques empilés en excès. Mais la législation française n’empêche pas non plus l’usage de langues régionales, en sus du français, c’est même, jusqu’à un certain point, encouragé. On peut néanmoins regretter l’absence d’une formalisation claire, inscrite dans la loi, des règles de présentation et de mise en forme de ces éléments qui permettraient de mettre la langue française et les langues régionales dans un rapport formel moins hiérarchique et plus complémentaire : si l’on peut écrire les noms de rues avec les mêmes règles typographiques pour le français et le breton, pourquoi ne pas en faire de même pour les panneaux de direction ? Les solutions graphiques et typographiques ne manquent pourtant pas.


  1. « Signalisation routière bilingue », Wikipédia (source)
  2. « Multilingual road signs are crucial for cultural inclusivity », Wilson Wen, the-peak.ca, 23 février 2015 (source)
  3. Numéro complémentaire du Journal Officiel de la République Française, 7 avril 1982, pp. 4-15 (source pdf)
  4. Instruction interministérielle sur la signalisation routière du 22 octobre 1963, première partie (version du 16/04/2019), p. 29 (source (pdf))
  5. « Réglementation autour de la signalétique bilingue dans une commune », Benjamin Assié, CIRDOC - Institut occitan de cultura, occitanica.eu, 2015 (source)
  6. « Bilingual signs ‘no danger’ », BBC News, 5 Décembre 2000 (archive) (source)
  7. « Evaluating the effects of bilingual traffic signs on driver performance and safety », S. L. Jamson & al., Ergonomics, 15 Décembre 2005 (source)
  8. « Driving simulator study of the comparative effectiveness of monolingual and bilingual guide signs on Chinese highways », Yanqun Yang & al., Transportation Research Part F: Traffic Psychology and Behaviour, Volume 68, Janvier 2020, Pages 67-78 (source)
  9. « Styles Calligraphiques arabes », Wikipédia (source)
  10. « Les 4 meilleurs styles de calligraphie arabe », muslim-mine.com (source)
  11. « Tifinagh », Wikipédia (source)
  12. Petite sociologie de la signalétique – Les coulisses des panneaux de métro, Jérôme Denis & David Pontille, Presse des Mines, 2010.